De plus en plus d’études scientifiques montrent que le degré de transformation des aliments est le facteur prépondérant impactant leur potentiel santé. Il semble donc important de repenser la classification des aliments selon leur degré de transformation et de proposer des recommandations alimentaires plus holistiques (globales) intégrant le degré de transformation des aliments, mais aussi le bien-être animal et la protection de l’environnement. Il ne suffit plus de manger sain pour soi seul mais aussi pour la planète.
À cette fin j’ai développé, à destination du grand public, la règle des 3V (Végétal, Vrai, Varié, si possible bio, local et de saison) ou les Trois Règles d’Or pour une alimentation saine, durable et éthique.
Ces règles sont à la fois scientifiques et holistiques :
Scientifiques : car toute la science concoure à montrer que le régime protecteur universel est riche en produits végétaux (V1 : maximum 15% de calories quotidiennes animales), peu transformés (V2: maximum 15% de calories quotidiennes ultra-transformées) et variés (V3);
Holistiques : car en respectant ces trois règles vous être sûr de protéger votre santé, de remplir vos besoins nutritionnels, de diminuer la maltraitance animale et de protéger l’environnement (biodiversité et climat). En outre le dernier rapport de la commission EAT-Lancet aboutit à des conclusions similaires, avec notamment 16% de calories animales quotidiennes (2).
Si les règles V1 et V3 sont en général du bon sens la deuxième règle demande des explications car la transformation alimentaire n’a jamais été mise en avant pour guider le choix des consommateurs.
Les pouvoirs publics brésiliens sont les premiers à avoir proposé des recommandations alimentaires holistiques basés sur le degré de transformation des aliments, mettant l’accent sur les aliments ultra-transformés dont il faut limiter la consommation. C’est la classification internationale NOVA mondialement utilisée par les chercheurs et reconnue par certaines autorités publiques comme un indicateur de la qualité nutritionnelle de nos aliments (par exemple la FAO).
Elle distingue 4 groupes technologiques :
les aliments pas/peu transformés,
les ingrédients culinaires,
les aliments transformés,
les aliments ultra-transformés.
NOVA définit les aliments ultra-transformés comme :
« caractérisés dans leur formulation par l’ajout d’ingrédients et/ou additifs cosmétiques à usage principalement industriel, ayant subi un procédé de transformation excessif pour imiter, exacerber ou restaurer des propriétés sensorielles (texture, goût et couleur) du produit fini (3)».
Bref la présence d’un colorant, texturant ou exhausteur de goût très transformés, purifiés et d’origine principalement industrielle est la marque de l’ultra-transformation. Sur la base de NOVA, la start-up Siga a développé un algorithme de classification des aliments selon leur degré de transformation, un score aujourd’hui en accès libre sur l’application smartphone ScanUp (4).
Il suffit de scanner le code barre et vous saurez si l’aliment est ultra-transformé ou pas. Ce score est holistique car il prend en compte à la fois le degré de transformation des aliments et des ingrédients ajoutés, l’effet « matrice », les teneurs en sucre, sel et gras, et le nombre, la fonction et le risque santé des additifs.
Le lien entre le degré de transformation des aliments et la santé humaine est maintenant bien établi.
En effet, les consommateurs réguliers d’aliments ultra-transformés sont plus à risque de surpoids, obésité, hypertension, diabète de type 2, hyperlipidémie, syndrome métabolique, cancers totaux et du sein, syndrome de l’intestin irritable, mortalité… En cause la perte de l’effet « matrice » par un raffinage excessif et la déstructuration de l’aliment en composés isolés, une forte densité en calories « vides » (pauvre densité en composés protecteurs types fibres, vitamines, minéraux et antioxydants), une élévation rapide du sucre dans le sang (sucres « rapides »), un potentiel de satiété réduit et l’ajout de nombreux composés exogènes non familiers à notre organismes (ingrédients ultra-transformés, certains additifs, arômes artificiels et composés néoformés).
Lorsque consommés régulièrement ils font donc le lit de l’obésité, du diabète de type 2 et de la stéatose hépatique, menant à des maladies chroniques beaucoup plus graves…
Avec la règle des 3V vous n’avez plus besoin de vous préoccuper des glucides, lipides, protéines, fibres, minéraux, vitamines, oméga 3, etc., et vous pouvez consommer en toute sérénité et joyeusement. En outre, moins l’humanité consommera d’aliments ultra-transformés plus la durabilité des systèmes alimentaires sera renforcée : santé humaine, bien-être animale, protection de l’environnement, de la vie sociale, des traditions culinaires et des petits paysans.
Le consommateur a donc le pouvoir entre ses mains et possède un levier d’action très facile et rapide à actionner : tout le monde devient acteur d’un changement planétaire en bas de chez lui…
La transformation des aliments : de quoi-parle-t-on ?
Depuis la nuit des temps l’homme a transformé ses aliments.
On distingue 4 grandes transitions alimentaires liées à la transformation :
le passage des aliments crus à cuits il y a environ 500 000 - 1 millions d’années avec la domestication du feu;
le développement massif des produits laitiers, céréaliers et de la viande d’élevage avec la sédentarisation des populations il y a environ 11 000 - 12 000 ans (passage du paléolithique au néolithique et donc des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs-éleveurs);
le passage des aliments traditionnels aux aliments industriels avec l’invention de la machine à vapeur au XVIIIème siècle et la production des premières conserves avec l’appertisation en 1795 (5);
et enfin le passage des aliments transformés à ultra-transformés dans les années 80 ou le passage des « vrais » aux « faux » aliments (« fake foods »).
Cette dernière transition, dont malheureusement personne ne parle, est fondamentale car elle est concomitante avec le début de l’explosion des maladies chroniques d’industrialisation et de la baisse de l’espérance de vie en bonne santé.
On est alors passé d’une transformation au service de l’aliment à un aliment qui s’est mis au service de la transformation pour des raisons de rentabilité. L’humain n’est plus au centre.
La transformation a donc été longtemps au service de l’aliment pour en améliorer le goût (fermentation, sucrage), la comestibilité (cuisson des grains et graines, marinage) et/ou la conservation (conserve, salage, fumage…). En témoignent les charcuteries, les fromages, le pain, les poissons fumés/salés, les grains et graines fermentés, les fruits au sirop, les confitures, les fruits fermentés (vins), l’utilisation d’épices, etc.
La transformation était vertueuse et les vrais aliments étaient toujours bien présents.
Après-guerre, on a commencé à fractionner les aliments produits en masse pour en valoriser les surplus ou les coproduits au travers du cracking des céréales (6), légumineuse, lait, œufs… au point où il est devenu presque plus rentable de vendre les éléments séparés que l’aliment naturel d’origine. De ces nombreux ingrédients isolés sont nés les aliments ultra-transformés recombinés avec de nombreux colorants, texturants et exhausteurs de goût, la marque de l’ultra-transformation ; mais au détriment de la santé du consommateur. Certes les aliments sont sûrs sur le plan sanitaire mais plus sur le plan nutritionnel.
Aussi, aujourd’hui les transformateurs sont-ils confrontés à un quadruple challenge :
développer des aliments sûrs,
sains,
bons au goût
et utilisant des transformations durables. La tâche n’est pas aisée mais pas impossible.
Globalement on distingue trois grands types de transformation :
Fermentaires (alcoolique, lactique, acétique…), mécaniques (broyage, écrémage, raffinage, pelage, hautes pressions…) et thermiques (UHT, pasteurisation, séchage, cuisson à l’eau, micro-ondes…).
Par ailleurs, un aliment est souvent le fruit de plusieurs traitements différents qui influencent chacun de façon différente à la fois la matrice alimentaire (sa structure) et sa composition. Par exemple un yaourt maigre est le fruit d’un traitement thermique (pasteurisation du lait), mécanique (élimination du gras) et fermentaire (ensemencement avec deux souches bactériennes). Des trois ce sont les fermentations qui sont les moins dénaturantes pour l’aliment et qui remplissent la quadruple contrainte technologique citée précédemment.
Parfois les fermentations peuvent même générer de nouveaux composés bioactifs protecteurs et dégrader des facteurs antinutritionnels sous l’action des microorganismes. Par contre, les traitements thermiques et mécaniques sont toujours dénaturants : l’enjeu sera plutôt de limiter les effets délétères. De même quand vous cueillez un fruit et que vous le stockez, il commence déjà à se dégrader. Il est donc très difficile de ne pas consommer transformé. Le problème n’est donc pas dans la transformation mais dans l’ultra-transformation.
En outre, aujourd’hui il est impossible de nourrir la population mondiale dans sa totalité si on ne transforme pas : se poserait alors des problèmes sanitaires de conservation des aliments lors de leur acheminement vers les grandes villes.
Le véritable enjeu est sans doute aujourd’hui de relocaliser la transformation et de ne pas la laisser entre les seules mains de grandes multinationales agro-alimentaires. Certains agriculteurs-producteurs se sont d’ailleurs réapproprié la transformation, comme avec la fabrication de yaourts, fromages ou confitures locaux. Il existe aussi aujourd’hui des supermarchés d’agriculteurs. Il semble qu’il faille donc trouver un meilleur équilibre entre produits locaux et internationaux.
Au final, savoir comment sont transformés nos aliments est crucial : après tout, c’est ce que nous ingérons trois à quatre fois par jour ! L’éducation à la transformation est donc une priorité pour notre santé.
Voir pour le détail :
Fardet, A. and E. Rock, Reductionist nutrition research has meaning only within the framework of holistic thinking. Advances in Nutrition, 2018. 9(6): p. 655–670. Fardet A (2018) Les aliments ultra-transformés : un indicateur holistique de la détérioration de la durabilité des systèmes alimentaires. L'Ecologiste. Septembre 2018.
Willett, W., et al., Food in the Anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. The Lancet, 2019.
Voir aussi le projet Siga (basé sur NOVA) pour la première classification holistique selon le degré de transformation des aliments : https://siga.care/ (Anthony Fardet est membre du comité scientifique de Siga)
Appertisation : Procédé de conservation des denrées alimentaires par stérilisation à la chaleur, dans des récipients hermétiquement clos.
Le blé est un produit « craquable ». Le craquage (cracking en anglais) « casse » ou « fractionne » le grain de blé en plusieurs composés ayant une valeur commerciale importante, la somme de ces ingrédients isolés rapportant plus que l’aliment entier.
Les facteurs antinutritionnels sont des composés chimiques, naturels ou synthétiques, qui interfèrent avec l'absorption des nutriments tant chez l'homme que chez les animaux : par exemple l’acide phytique peut réduire la disponibilité de certains minéraux et les facteurs anti-trypsiques peuvent empêcher la transformation des protéines en acides aminés
Article écrit par Anthony Fardet, en collaboration sur Juste Naturo et chercheur en Alimentation Préventive & Holistique.
Auteur de « Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai » (Editions Thierry Souccar).
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